La chanson est-elle un "art mineur" ?

Les "arts majeurs", l'architecture, la sculpture, la peinture, la musique, la littérature, le théâtre, sont assaillis par d'autres prétendants au trône: le cinéma, la bande dessinée, la radio… Chacun d'entre eux souhaite quitter l'enclos du divertissement pour accéder au piédestal de la Culture… Pourquoi la chanson ne pourrait-elle pas également prétendre à cette élévation honorifique ? Pourquoi est-elle souvent qualifiée d'art mineur, elle qui croise deux arts majeurs: la musique et la poésie ?

On me répondra rapidement qu'il y a chanson et Chanson. Qu'il ne faut pas mélanger les torchons de certains avec les serviettes de Monsieur Brel et Madame Barbara, par exemple. Tout comme il y a cinéma et Cinéma, répondrai-je, ou peinture et Peinture, théâtre et Théâtre. Les croquis de Poulbots de la Place Montmartre n'empêchent pas la peinture de Monet d'être classifiée Art majeur, comme les pièces de boulevard n'empêchent pas le théâtre de Racine d'être classé monument historique.

En fait, cette hiérarchie des genres me semble un héritage arbitraire et obsolète. Offre-t-elle un intérêt ? A quoi sert cette course aux titres, sinon à masquer la réalité: les activités artistiques, quelles qu'elles soient, ne visent que le divertissement de ceux qui s'y intéressent.

Ainsi Pascal Du Sapin, avec sa musique contemporaine atonale et arythmique, ne fait qu'un travail de divertissement comparable à celui d'un chanteur de variété. La différence vient du public: Du Sapin s'adresse à un public restreint, ayant une grande connaissance des productions musicales classiques antérieures, avide de nouveautés conceptuelles, de sensations sobres et… de distinction. Tandis que le chanteur de variété s'adresse à un large public, moins expert, moins exigeant au niveau conceptuel et ne reculant pas devant les émotions simples. Mais les deux publics recherchent une distraction, un divertissement.

De plus, le public de Du Sapin contient probablement des gens qui écoutent également des chansons, alors que les fans du chanteur de variété ignorent probablement l'existence du compositeur. Donc, plutôt que de chercher la flatterie d'un titre d'art mineur ou majeur, la chanson peut s'enorgueillir d'être un divertissement comme les autres, comme le théâtre de Racine, la peinture de Cézanne, les romans de Balzac. Et puisqu'elle s'adresse à un large public, puisqu'elle touche toutes les classes de la société, elle peut sans regret abandonner ce titre d'art mineur pour celui de Divertissement Majeur.


Comment faire une chanson avec un dé ?

Voici une façon de chercher une mélodie. Je ne prétends pas qu'elle soit utile à un compositeur chevronné ! mais elle peut désinhiber les débutants...


Qu'est-ce qui donne du style à une chanson ?

Voici trois versions d'une même histoire: cherchez ce qui est gênant dans les versions 1 et 2, puis repérez les effets de style de la version 3. Enfin, écrivez votre propre version !

Version 1:

Depuis qu'il vit seul il va très mal
Il boit de l'alcool quand il conduit
Cette ville est vraiment affreuse et banale
Sans arrêt il y fait le même circuit

Hier encore une femme qu'il trouvait belle
Vivait avec lui à ses côtés
Il était bien et détendu avec elle
Depuis son départ il se sent abattu et inquiet

Il ne l'avoue pas mais en fait
Il est triste et déprimé
Quand la nuit vient
Il n'est pas bien
Il ignorait les dangers
Que l'amour pouvait cacher
Après le bonheur
Voici le temps du malheur


Depuis longtemps il travaillait bien
Pour que sa femme ne manque de rien
Il avait même le projet de faire un bébé
Maintenant qu'elle n'est plus là il songe à se suicider

Il ne l'avoue pas mais en fait
Il est triste et déprimé
Quand la nuit vient
Il n'est pas bien
Il ignorait les dangers
Que l'amour pouvait cacher
Après le bonheur
Voici le temps du malheur


Version 2:

Depuis qu'elle est loin il broie du noir
Il noie son chagrin de bars en bars
Il conduit comme un dingue à tombeau ouvert
Dans cette ville sans âme il s'étiole et vit un enfer

Hier encore la femme de sa vie
Etait dans ses bras et l'embrassait
Elle était son soleil son coup de folie
Depuis son départ il se sent tout déboussolé

Il dit ça va et pourtant
Il est perdu comme un enfant
Quand la nuit descend
Il se ronge les sangs
L'amour c'est comme une fleur
Dont les épines vous piquent le coeur
Ca fait illusion
Puis ça finit en queue de poisson


Il travaillait vraiment comme un fou
Pour couvrir son amour de beaux bijoux
Il voulait un enfant à la saison prochaine
Depuis qu'il est seul il pense à se tailler les veines

Il dit ça va et pourtant
Il est perdu comme un enfant
Quand la nuit descend
Il se ronge les sangs
L'amour c'est comme une fleur
Dont les épines vous piquent le coeur
Ca fait illusion
Puis ça finit en queue de poisson


Version 3:

Comme elle est partie Jim a les nerfs
Jimmy boit du Gin dans sa Chrysler
La presqu'île le boulevard de la mer est con
Comme elle est partie attention Jimmy tourne en rond

Hier soir encore son héroïne
Le serrait si fort en disant Jim
Elle était son calmant son alcool profond
Comme elle est partie attention Jimmy tourne pas rond

Jimmy t'es fort mais tu pleures
Sur le cuir de ta Chrysler
Là-bas le soleil s'écroule dans la mer
Jimmy les filles pour le coeur
Comme l'alcool et les révolvers
C'est sauter en l'air tomber par terre boum


Depuis deux ans sûr Jim bossait fort
Pour que sa starlette bronze en hors-bord
Avec elle il voulait un bébé sans rire
Comme elle est partie attention Jimmy veut mourir

Jimmy t'es fort mais tu pleures
Sur le cuir de ta Chrysler
Là-bas le soleil s'écroule dans la mer
Jimmy les filles pour le coeur
Comme l'alcool et les révolvers
C'est sauter en l'air tomber par terre boum


(Alain Souchon)

Comment faire une chanson avec un dictionnaire ?

Voici l'écriture d'une chanson en temps réel (juste quelques accélérations sur les temps de réflexion muets). A partir d'une mélodie et d'un mot pris au hasard dans le dictionnaire...

Qu'est-ce qu'une chanson ?

Comme les physiciens cherchent à décrire en une seule loi l'ensemble des forces en jeu dans l'univers, la "théorie du tout", j'ai un jour cherché une formule courte et complète pour décrire une chanson.

J'aurais pu me contenter de la définition du dictionnaire: "poème chanté, divisé en couplets, souvent séparés par un refrain." Sachant qu'un poème est pour lui "un ouvrage en vers ou en prose ayant les caractères de la poésie", et que par poésie il entend: "l'art d'évoquer et de suggérer les sensations, les impressions, les émotions, par un emploi particuliers de la langue, utilisant les sonorités, les rythmes, harmonies des mots et des phrases, les images, etc".

Ce n'était pas faux, mais ce n'était pas court. J'avais bien entendu à ma disposition de nombreux ouvrages sur la chanson, dont l'excellent "Moulin à paroles" de Michel Arbatz, mes notes de stages des non moins excellents Chantal Grimm et Brice Ohms, pour ne citer qu'eux. Si tous avaient enrichi et clarifié mes connaissances, aucun ne m'avait livré la formule lapidaire que je cherchais.

Pour décrire le charme, la beauté légère et profonde des chansons, je finis par imaginer ceci: "une chanson est un jeux sur les sons et sur le sens". Jeux sur les sons par le choix des notes, des rythmes, des rimes, des allitérations… Jeux sur le sens par le choix des mots, images et autres figures de styles… J'étais plutôt satisfait, jusqu'à lire: "Une chanson c'est une petite fête de notes et de mots". Signé Georges Brassens. Evidemment...


Six chansons bien pondues